2025 : le monde fatigué
Comprendre la normalisation globale de l’extrême droite
On disait autrefois que l’extrême droite prospérait en temps de crise.
Ce qu’on n’avait pas prévu, c’est que la crise deviendrait l’état normal du monde.
Depuis cinq ans, la succession d’événements — pandémie, guerre, inflation, effondrement écologique — a transformé la peur en toile de fond, la colère en carburant, et la nostalgie en promesse politique. 2025 n’est pas l’année du basculement, c’est celle de la confirmation : la fatigue collective est devenue le moteur des populismes.
La fin de la confiance
Tout a commencé avec une fissure.
Quand les gouvernements ont perdu la maîtrise du réel pendant le Covid, quand les scientifiques ont douté publiquement, quand les journalistes ont hésité entre prudence et panique, quelque chose s’est brisé.
Le lien de confiance.
Depuis, chaque crise ajoute une strate de scepticisme.
Les gens ne croient plus aux chiffres, aux discours, ni même aux institutions.
Ils ne veulent plus qu’on leur explique le monde : ils veulent qu’on leur rende la main dessus.
Et c’est précisément ce que promettent les extrêmes.
L’illusion du contrôle
L’extrême droite ne gagne pas parce qu’elle convainc : elle gagne parce qu’elle simplifie.
Elle transforme la complexité du monde en récit binaire : un “nous” menacé par des “eux”, un pays à reprendre, une identité à sauver.
Peu importe que ce récit soit faux : il rassure.
Les partis classiques parlent de réformes, de régulations, de transitions.
Les populistes, eux, parlent de courage, de dignité, de frontières.
Et à force d’avoir vécu la peur, les gens préfèrent un mensonge réconfortant à une vérité angoissante.
La fatigue démocratique
Dans les démocraties occidentales, l’usure est visible.
Les électeurs ne croient plus que voter change quoi que ce soit.
Les promesses se ressemblent, les scandales aussi.
Les réseaux sociaux, eux, tournent à plein régime : ils amplifient la rage, la jalousie, l’humiliation.
Les extrêmes droites s’y sont installées depuis longtemps.
Elles ont appris à parler le langage du ressentiment, à produire des images virales, à transformer la peur en appartenance.
Pendant que la gauche cherche des mots, l’extrême droite fabrique des symboles.
Une nostalgie mondiale
Trump aux États-Unis, Meloni en Italie, Le Pen en France, AfD en Allemagne, Vox en Espagne.
Partout, les mêmes mots : patrie, ordre, fierté.
Partout, la même promesse : rendre au peuple ce qu’on lui aurait volé.
Mais ce “peuple” est une fiction commode, un refuge pour ceux qui se sentent effacés par le monde moderne.
Le progrès technologique les dépasse, les transformations sociales les dérangent, les mutations culturelles les angoissent.
L’extrême droite leur offre un passé imaginaire où tout était stable, lisible, hiérarchisé.
Le monde fatigué
2025 n’est pas une révolte idéologique.
C’est un soupir collectif.
Un monde saturé d’informations, d’alertes, de crises, de moralismes — et qui choisit, par épuisement, la brutalité comme raccourci.
La montée des extrêmes n’est pas un accident de parcours : c’est le symptôme d’un monde vidé de sens.
Un monde qui ne croit plus à la politique, qui se méfie de la science, qui ne rêve plus d’avenir.
Et quand le futur fait peur, c’est toujours le passé qui revient hanter le présent.
Mais rien n’est figé
La fatigue n’est pas la fin d’un monde — c’est parfois le début d’un réveil.
L’histoire bascule souvent quand les sociétés épuisées se remettent à imaginer autre chose.
Pas nécessairement un grand projet collectif, mais une manière nouvelle d’habiter le réel : plus locale, plus sincère, plus sobre, plus humaine.
Ce qui peut inverser la tendance, ce n’est pas un miracle politique, mais le retour du sens partagé.
Des gens qui recommencent à parler entre eux, à créer, à s’organiser, à désobéir autrement qu’en hurlant.
Des médias indépendants, des espaces libres, des paroles qui reconnectent.
Des initiatives qui redonnent la sensation que quelque chose dépend encore de nous.
Ce n’est pas la haine qui fatigue les sociétés.
C’est l’absence d’horizon.
Et c’est précisément là que la reconstruction peut commencer.





