Lecornu 1.2 ou le faux désordre du pouvoir ?
Il aura fallu vingt-six jours pour annoncer un gouvernement que personne ne comprenait.
Et quatre jours de plus pour découvrir celui que le Président avait sans doute en tête depuis le premier jour.
Le 26 septembre, Sébastien Lecornu arrive à Matignon avec la promesse de renouer le dialogue, d’écouter, de bâtir une équipe équilibrée. Pendant près d’un mois, il consulte, temporise, sature l’espace médiatique de rumeurs et de contre-pistes. Puis, soudain, il dévoile son gouvernement.
Sur le papier, rien de neuf : une copie quasi conforme du cabinet Bayrou, avec un seul effet de manche — le retour surprise de Bruno Le Maire.
Mais ce choc politique, plus psychologique que programmatique, sème immédiatement la discorde.
Bruno Retailleau, président de LR, tombe des nues : il n’a pas été prévenu.
Le Maire, symbole du ralliement macroniste de 2017, réapparaît sans avertissement.
La droite s’indigne, l’opposition raille, les partenaires s’interrogent.
Et Lecornu, censé être l’homme du rassemblement, semble déjà pris au piège d’une équipe déséquilibrée et d’une communication brouillonne.
Le gouvernement Lecornu I paraît mort-né.
En réalité, il n’était jamais destiné à vivre.
Ce premier gouvernement n’était pas un faux pas : c’était un leurre.
Une mise en scène savamment orchestrée pour provoquer, épuiser et désarmer les ambitions concurrentes.
Le Maire, resté ministre à peine quelques heures, n’était pas un pilier : il était un détonateur.
Son apparition-éclair a suffi à faire exploser la fragile unité de la droite parlementaire. Retailleau, persuadé d’être incontournable, s’est retrouvé soudain fragilisé — coincé entre la colère de ses troupes et le sentiment d’avoir été dupé.
Bayrou, marginalisé, a perdu l’initiative.
Philippe, silencieux, a compris que son heure n’était pas venue.
Et Macron, fidèle à lui-même, a laissé la scène se consumer avant de revenir l’air de rien, reconduisant Lecornu pour former le vrai gouvernement : celui que les vingt-six jours de pseudo-crise avaient préparé dans l’ombre.
Lecornu II, c’est la version aboutie du plan initial.
Une équipe plus resserrée, plus docile, débarrassée des ministres survoltés et des présidentiables trop pressés.
Des LR intégrés malgré la ligne officielle du parti, une UDI (Françoise Gatel) comme caution de modération, quelques proches d’Horizons pour la forme — et surtout un Premier ministre qui n’a rien à prouver.
Là où Lecornu I exhibait ses déséquilibres, Lecornu II impose un calme froid, presque administratif.
C’est le gouvernement que Macron voulait depuis le début : sans visages menaçants, sans héritiers visibles, sans bruit.
La stratégie est limpide, presque cynique.
Le premier gouvernement a servi de purge : faire sortir du bois les impatients, révéler les susceptibilités, exposer les fractures.
Le second incarne la reprise de contrôle : une équipe réduite, loyale, prête à gouverner au cordeau.
Le chaos n’a pas été subi, il a été utilisé comme outil de tri.
Lecornu I a fait tomber les masques ; Lecornu II a relevé le rideau.
Le résultat, paradoxalement, n’est pas mauvais.
Le gouvernement est cohérent, plus lisible que les précédents.
Mais il est suspendu au vote de l’Assemblée : deux motions de censure — l’une déposée par LFI, l’autre par le RN — menacent de le faire tomber avant même qu’il n’ait présenté son budget.
Le PS hésite, les Républicains se déchirent, et tout pourrait basculer à quelques voix près.
Ce serait un record de fragilité, mais aussi la confirmation que Macron n’a plus besoin de majorité pour exister — seulement d’un peu de désordre bien calibré.
Car c’est là toute la logique de cette séquence : transformer la crise en méthode.
Lecornu I n’était pas une erreur, Lecornu II n’est pas une surprise.
Les deux forment un même mouvement : une chorégraphie du pouvoir, où le chaos sert à éliminer, et la stabilité à reprendre la main.
Le premier acte a détruit les ambitions encombrantes ; le second installe un gouvernement discipliné, conçu pour durer — ou, au moins, pour tenir.
Dans un système épuisé, Macron a encore trouvé une manière de régner :
faire de la confusion un outil de continuité.





